Pauline Peyrade
Photo : Matthieu Zazzo
Pauline Peyrade est auteure, metteuse en scène et, depuis 2019, coresponsable du département « Écrivain·e·s Dramaturges » de l’ENSATT. Après des études de littérature (khâgne, lycée Henri-IV), elle fait un master de mise en scène à la Royal Academy of Dramatic Art (Londres). Parmi ses textes, 0615 a été mis en ondes sur France Culture. Elle est autrice associée à la Comédie de Colmar (2021-2023) et aux Amandiers – CDN de Nanterre (2021-2025). Ses textes sont traduits en anglais, allemand, espagnol, portugais, catalan, italien, tchèque.
Pauline Peyrade vient de remporter le Goncourt du Premier Roman.
Rencontre
Dédicaces
Chronique : "L'Âge de détruire"
Un roman paru aux Editions de Minuit en 2023
L’âge de détruire est un roman qui se présente en deux parties.
L’âge un suit Elsa, petite fille de 7 ans, en pleine période de construction. Elle vient d’emménager dans un nouvel appartement que sa mère vient d’acheter et qui sera le théâtre de leur vie à venir. Elles vivent toutes les deux, d’autre parent il n’est jamais question, si ce n’est sa grand-mère qui vit loin. Elsa s’étonne et se demande ce que sa mère peut manigancer en lui offrant un lit superposé alors qu’elle est enfant unique. La réponse arrive rapidement lorsque sa mère la rejoint dans sa chambre, s’allonge dans le lit du bas et lui demande de l’y rejoindre. Pour la rassurer sur l’amour qu’elle lui porte parfois, pour la violer d’autres fois. Leur relation se définit par cette possession de la mère sur sa fille et l’isolement qu’elle lui impose. Ainsi lorsqu’Elsa rencontre Issa, une camarade de classe dans sa nouvelle école, elle est éblouie par la petite fille, une fascination se met en place qui se traduit physiquement et psychologiquement pour Elsa, son corps et son esprit sont complètement tournés vers la beauté d’Issa. Un sentiment amoureux et érotique semble s’installer chez elle. C’est alors son quotidien mais aussi celui de sa mère qui bascule à cette rencontre.
La mère, seule, insomniaque, est capable d’ignorer sa fille comme de lui asséner son amour, de la maltraiter comme de lui offrir ses plus beaux sourires. Le portrait dressé est celui d’une mère imprévisible, abusive, toxique et violente dont l’emprise sur Elsa ne cesse d’engloutir et d’isoler cette dernière. Ces mots ne sont jamais posés du point de vue de la jeune narratrice : sont exposés ses ressentis, ses peurs, ses désirs.
Elsa obtient l’autorisation d’inviter Issa à dormir, elle est gênée par la présence de sa mère qui ne les laisse jamais seules (elle avait déjà refusé que ce soit Elsa qui aille dormir chez son amie). La nuit, Elsa rejoint Issa dans son lit. Issa repousse Elsa qui insiste, la force à un rapprochement sexuel et reproduit sans s’en rendre compte le modèle incestueux de sa mère. Le lundi Issa cherche clairement à éviter Elsa et la gifle lorsque cette dernière essaie de l’approcher. Les deux filles ne s’adresseront plus la parole.
Aux vacances qui suivent, Elsa et sa mère partent chez la grand-mère. La tension entre les deux femmes est palpable, la nuit Elsa est réveillée par les hurlements de sa grand-mère qui cogne leur porte de chambre en hurlant des insanités, sa mère la prend par la main et elles partent dans la nuit. Elles ne reviendront dans la maison que l’année suivante alors que la grand-mère agonise et l’on soupçonne, par les yeux de la fillette, que sa mère étouffe sa grand-mère.
L’âge deux, Elsa a grandi, elle a 30 ans et n’habite plus avec sa mère. La description de cette nouvelle vie se limite à celle de son appartement, de jolies fleurs, une lucarne par laquelle elle peut observer les cieux lorsqu’elle s’allonge sur son lit, un sentiment de liberté et d’ennui, parfois. Ce nouvel âge est ponctué par des visites régulières à sa mère, certaines esquivées, d’autres honorées.
Chacune mène sa vie en parallèle, habitant des quartiers proches, se voyant de temps à autre. Elles essaient de partir en week-end ensemble, sa mère lui annonce tenter de vendre l’appartement dans lequel elle vit et où Elsa a grandi. Cela donne lieu à un tri de leurs affaires, sa mère se débarrasse de beaucoup de choses, Elsa n’aura pas vraiment l’occasion de trier ses affaires et tous ses souvenirs d’enfance partiront à la benne. Alors que mère et fille ne se sont pas vues pendant un moment, Elsa est conviée pour fêter une bonne nouvelle. Sa mère ne lui ayant pas souhaité son anniversaire, elle est plutôt contente d’être invitée chez elle. A l’arrivée, sa mère l’informe qu’elle renonce à la vente de l’appartement alors qu’il est en partie vide. Après avoir partagé le gâteau d’anniversaire et bu des coupes de champagne, Elsa prend le couteau à découper et le plante dans la main de sa mère qui vient de lui offrir les bagues que sa propre mère lui avait offertes. Au chapitre suivant, le duo mère-fille est parti en week-end à la mer et ont, a priori, passé un bon moment. Au chapitre suivant, Elsa arrive dans le hall d’immeuble de sa mère et relève sa boîte aux lettres remplie, se questionne sur la mort, sur la répétition, sur la transmission.
Comme souvent aux éditions Minuit, l’économie de mots est force et ce roman n’y échappe pas. Pauline Peyrade nous livre le récit intérieur oppressant d’une victime, la difficile déconstruction d’une relation filiale violente. Mais le livre questionne surtout la reproduction des schémas violents qui s’illustre dans le texte par trois bagues transmises comme des malédictions de mères en filles, de génération en génération. C’est un roman très sensitif et visuel aussi, avec une forme implacable dans la manière de raconter de Pauline Peyrade. Ce style puissant, parfois violent, est sans doute lié au fait qu'elle soit dramaturge.
Complément
A emprunter à la bibliothèque
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