Syracuse

Tristan Saule nous ramène pour la troisième fois sur la place Billet, dite la place carrée, à Monzelle. Cette fois-ci l’histoire est celle de Loïc dont la vie ne s’est pas déconfinée en mai 2020. Ouvrier tôlier dans une usine, il a une vie simple faite de travail, de bowling le vendredi soir avec ses collègues, de courses le samedi et de repas familiaux le dimanche. Ses parents surnommé.e.s Pépé et Mémé, sa grande sœur Nini s’occupent de ce presque grand quadra qui semble un peu différent et solitaire. Un jour il découvre l’atelier théâtre de Ali à la maison de quartier et se prend au jeu des histoires et de la scène. Ali conte des histoires d’ailleurs et parle souvent de l’architecte Jean Walter. Peu à peu Loïc prend confiance en lui et se lance même dans l’écriture d’une pièce nommée « Les aventures de Clic et Cloque ». Sa déception est immense quand Ali lui explique que cette pièce ne pourra pas être jouée comme pièce de fin d’année de l’atelier. Et puis un virus confine la France. Peu à peu Loïc succombe à une forme de paranoïa l’empêchant de sortir de son isolement en même temps que le reste de la population. La peur du virus et des autres s’insinue, celle d’être manipulé aussi. C’est sa grande sœur qui lui fait ses courses et les lui emmène, Loïc ne sort plus. Les personnages qu’il a inventés commencent à rentrer en dialogue avec lui. Loïc regarde la vie à travers la lunette de sa carabine constamment braquée sur la place carrée et à travers le compte d’une influenceuse nommée Elora Silva. Plus il s’enferme dans sa solitude, plus grande est son envie de violence. Jusqu’à un dénouement forcément fatal…

Tristan Saule nous plonge dans l’esprit complétement halluciné de Loïc. Où se situe le réel dans ce monologue ? à mesure qu’il s’enferme, son esprit se fait torturé, amer. Loïc raconte des souvenirs aussi. Ces flash-back nous montrent qu’il y a des secrets, une dynamique particulière au sein de sa famille, des non-dits enfouis profondément en chacun.e d’eux et elles (et dans un puits aussi). C’est aussi la France périphérique que donne à voir l’auteur, celle des lieux entre deux mondes. La petite délinquance, la vie de quartier avec ses petits compromis, les tranches de vie ni belles ni laides de monsieur ou madame tout le monde. Nous recroisons aussi quelques-uns des personnages des tomes précédents (je suis fan de la grande et taiseuse Mathilde et du feu follet Idriss). La mise en abîme est vertigineuse car Tristan Saule a écrit finalement plusieurs histoires. Satire sociale, thriller angoissant, ode aussi au théâtre, ce troisième tome des chroniques de la place carrée pointe de manière très juste certains des maux de nos mondes modernes.